Le Montréal de Jackie Robinson
Cet article a été mis à jour le 9 février 2024.
Étoile du baseball et figure emblématique du mouvement des droits civiques afro-américains, Jackie Robinson entre dans l’histoire lorsqu’il signe avec les Royaux de Montréal et franchit la barrière raciale pour jouer, en 1946, dans la Ligue majeure, dans une ville où il croit avoir trouvé le « paradis ».
Un coup sûr
Branch Rickey, le président, manager et copropriétaire des Dodgers de Brooklyn, veut permettre aux Afro-Américains de jouer dans la Ligue majeure de Baseball (LMB). Le 23 octobre 1945, il engage Jackie Robinson dans les Royaux de Montréal, alors club-école des Dodgers dans la Ligue internationale.
Pour ce qu’on surnomme plus tard sa « grande expérience », Rickey choisit Montréal car la métropole québécoise a la réputation d’être une ville tolérante : ses musiciens de jazz, dans le quartier de la Petite-Bourgogne (surnommée la « Harlem du Nord »), font déjà grand bruit, et c’est également en 1946 que les Alouettes de Montréal engage l’Américain Herb TYranwick, le premier Noir à jouer dans la Ligue canadienne de football.
Rickey est par ailleurs persuadé que Robinson résistera à la pression et au racisme dont il fera l’objet lors de ses déplacements avec l’équipe. Effectivement, Jackie ne répond pas à la provocation, avec l’aide inestimable de sa femme, Rachel Robinson.
Jackie Robinson fait ses débuts le 17 mars 1946, dans un match préparatoire qui réunit les Royaux et les Dodgers, au City Island Ballpark de Daytona Beach.
Son premier match en saison régulière entre les Royaux et les Giants de Jersey City a lieu le 18 avril 1946, devant 52 000 spectateurs, dans un stade Roosevelt plein à craquer. À son deuxième passage au bâton, il frappe un triple. Quand les deux autres coureurs retournent au banc, son coéquipier George « Shotgun » Shuba, au cercle d’attente, s’avance pour lui serrer la main au moment où il franchit le marbre. Il s’agit de la première poignée de main interraciale (la « poignée de main du siècle ») dans un match de baseball professionnel.
Les débuts à Montréal
Quand les Royaux reviennent à Montréal pour leur premier match de la saison à domicile au Stade Delorimier — où, des gradins, une autre icône du sport montréalais, Maurice « Rocket » Richard, suit le jeu —, Jackie Robinson est déjà un héros. À la fin du match, il passe une heure sur le terrain à signer des autographes.
Reconnu et célébré
Construit en 1928 et d’une capacité de 20 000 spectateurs, le Stade Delorimier (aussi connu sous le nom de Delorimier Downs) est situé au 2101 de la rue Ontario Est, à l’intersection de la rue de Lorimier. C’est aussi là que jouent les Alouettes, l’équipe de la Ligue canadienne de football, jusqu’en 1953. Lorsque les Royaux cessent leurs activités après la saison de 1960, le stade est démoli, en 1969, et on construit à sa place l’école secondaire Pierre-Dupuy.
Sur la place des Royaux, à l’intersection des rues Ontario et de Lorimier, à l’endroit même où se trouvait le marbre du stade, une plaque de la Ville entourée d’une cage de frappeurs rouge honore depuis 1989la mémoire de Robinson.
À l’entrée principale du Stade olympique, où les Expos de Montréal ont joué jusqu’en 2004, une statue en bronze de Jackie Robinson donnant une balle à l’un de deux garçonnets, une œuvre du sculpteur Jules Lasalle, a été érigée en 1987.
En 2011, grâce à des diplomates du Consulat général des États-Unis à Montréal, une plaque commémorative a été installée au 8232 rue de Gaspé, là où Jackie et son épouse vécurent dans la métropole québécoise.
En 2004, Madame Robinson m’a confié : « Nous avons été accueillis à Montréal avec chaleur et dignité. Les gens nous y ont complètement acceptés. Nous étions prêts à retourner aux États-Unis [en 1947] pour faire ce que nous avions à faire quand Jackie jouait pour les Dodgers. »
Une foule en liesse
En 1946, Robinson joue un rôle clé dans la victoire des Royaux dans la « Petite série mondiale » de la Ligue internationale. Lorsque, le 4 octobre, l’équipe remporte le sixième jeu de la série contre les Colonels de Louisville devant une foule record de 19 171 spectateurs montréalais, le journaliste du Pittsburgh Courier Sam Maltin écrit :
« Les placiers du stade et les forces de police n’ont pu empêcher la foule de pénétrer sur le terrain en scandant “Il a gagné ses épaulettes” et “On veut Robinson”. C’était une foule au bord de l’émeute… Une délégation de placiers est allée voir Jackie pour lui demander de quitter le stade afin qu’ils puissent le fermer et clore la saison. Jackie est sorti et la foule s’est ruée sur lui. Des hommes et des femmes de tous âges tendaient les bras pour l’étreindre et l’embrasser, tiraient et déchiraient ses vêtements, puis l’ont hissé sur leurs épaules en hurlant. Jackie, en larmes, a supplié en vain que cessent les honneurs. »
Et comme le fait justement remarquer le journaliste sportif, c’est « probablement la première fois dans l’histoire qu’un Noir a été poursuivi par une foule de Blancs qui ne voulaient pas le lyncher, mais plutôt lui témoigner son amour. »
Dans son livre autobiographique My Own Story, publié en 1948, Jackie écrit : « Alors que l’avion prenait son envol et que les lumières de Montréal scintillaient et clignotaient au loin, j’ai regardé une dernière fois cette ville fabuleuse où j’avais été si heureux. “Ce n’est pas grave si je ne passe pas en ligue majeure, me suis-je dit. C’est une ville pour moi. C’est le paradis.” »
Une véritable histoire d’amour
En 1958, les Robinson reviennent à Montréal, où ils sont reçus à l’Hôtel de Ville par le maire Sarto Fournier et signent le livre d’or de la Ville.
Jackie reste un héros dans la métropole québécoise, où deux immenses murales lui sont consacrées. La première, de l’artiste Vincent Dumoulin, a été inaugurée en 2016 dans le quartier Villeray, sur le côté du 171 de la rue Jarry Est, à l’intersection de la ruelle de Gaspé, non loin de la demeure des Robinson.
La seconde, inaugurée en 2017, est l’œuvre d’un collectif d’artistes en art urbain, AShop, et se trouve sur le côté du restaurant Coco Rico, à l’intersection de la rue Napoléon et du boulevard Saint-Laurent, dans Le Plateau-Mont-Royal.
Jackie Robinson est également évoqué dans Cité Mémoire, une des plus grandes installations vidéo au monde. La série de projections est présentée à divers endroits du Vieux-Montréal, dont le tableau consacré au joueur de baseball, au 408 de la rue Saint-François-Xavier.
Un joueur d’exception
Avec les Royaux de Montréal, Jackie Robinson a une moyenne au bâton de 0,349, vole 40 buts et frappe 113 coups sûrs. Il décroche aussi le titre de meilleur frappeur de la Ligue internationale.
Il fait ses débuts en ligne majeure avec les Dodgers le 15 avril 1947. La même année, il obtient le titre accordé pour la première fois dans la LMB de la meilleure recrue de l’année. Il remporte les séries de 1955 avec les Dodgers et est intronisé au Temple de la renommée du baseball en 1962 et au Temple de la renommée canadien du baseball en 1991.
Jackie Robinson est une icône au stade comme à la ville. « Jackie Robinson a rendu mon succès possible, dit Martin Luther King. Sans lui, je n’aurais jamais pu faire ce que j’ai fait. »
En 1997, le numéro 42 a été retiré de toutes les équipes de la LMB. Depuis 2009, des joueurs et des entraîneurs portent ce numéro chaque année, le 15 avril, à l’occasion de la journée Jackie Robinson.
Richard Burnett
Richard « Bugs » Burnett est un auteur, rédacteur, journaliste, blogueur et chroniqueur canadien. Il écrit pour des hebdomadaires indépendants ainsi que des publications grand public et LGBTQ+. De plus, Bugs connaît Montréal comme une drag queen connaît les produits de beauté.